REMARQUES CONCERNANT MON MÉTIER

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Qu'est-ce qu'un architecte naval ?
Un créateur ? Un ingénieur ? Un dessinateur ? Un artiste designer ?
Il est tout cela à la fois et même plus s'il est lui-même constructeur, ce qui fut mon cas.

Un architecte naval est, en principe, indépendant. Il exerce sa profession en libéral.
Il peut tout de même être engagé dans un bureau d'architecture navale comme ingénieur ou dessinateur mais dans ce cas il ne signe pas son travail.
C'est ici que vient la question principale : celle de sa notoriété.
Les clients viennent à lui grâce à sa notoriété, celle qu'il a acquise en général assez difficilement après des années et des années de labeur jusqu'au jour où "il n'a plus rien à prouver".
Je précise que l'architecte naval accomplit et signe son œuvre dont il garde la propriété intellectuelle à vie, c'est le juste revers de la médaille.

Il dessine donc un bateau original et propose les plans pour la construction amateur, professionnelle, à l'unité ou en série...
Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples car il y a le marché avec la mode et les progrès techniques.
Un plan dans le style des années 60 n'aura aucun succès, sauf pour une commande particulière bien précise.
Il faut donc impérativement trouver et produire le dessin qui plaira tout en gardant un " style " pour se démarquer des concurrents et pérenniser son nom.

Maintenant que se passe-t-il quand un client demande un plan particulier, juste pour lui ?
Il faut d'abord préciser ceci : un client s'adresse à l'architecte naval qu'il a choisi compte tenu de la notoriété de ce dernier et de son approche de l'esthétique. Demander à un architecte naval de dessiner et de signer un plan dans un style qui n'est pas le sien n'a pas de sens ! Et pourtant..
J'ai malheureusement souvent rencontré cette situation : puisque je possède un certain savoir-faire (reconnu), je peux me vendre comme ingénieur pour un projet dont je ne serais pas l'auteur... Soit, pourquoi pas.
Mais les choses peuvent sérieusement se compliquer quand le client n'est ni dessinateur, ni architecte naval, ni designer.
Alors pour résumer, voilà comment les choses peuvent se présenter : Le client veut un style de bateau et s'adresse à un architecte naval connu pour ce qu'il a déjà fait. Il lui demande de présenter un avant projet sur la base d'un cahier des charges très précis, discuté et accepté au préalable.
Présentation des premiers croquis d'approche, premières critiques sur l'esthétique générale, deuxièmes critiques, troisièmes critiques...
Finalement le client n'aime pas l'esthétique proposée par l'architecte, il veut autre chose sans jamais dessiner lui-même quoi que ce soit. Il présente, comme exemple, des réalisations signées par les confrères !
Alors la question est : pourquoi est-il venu me voir ? Il pense peut-être que mon savoir-faire lui sera financièrement profitable. Je suis en effet très spécialisé dans l'étude des navires en bois étudiés en kit. J'ai proposé dans la presse de réaliser des études personnalisées assez rapidement compte tenu de l'efficacité et de la maîtrise de mon outillage informatique, il est vrai, je le maintiens.
Mais je signe tous mes plans. J'ai sans doute omis de le dire...

Une nouvelle profession est apparue, celle de "designer naval" qui prend en charge la partie esthétique extérieure et intérieure d'un navire.
L'architecte naval dessine la carène en fonction d'un devis de poids, je suppose, étudié de concert avec le designer. Les calculs de structures sont confiés à un bureau d'étude spécialisé. L'architecte naval synthétise les travaux des uns et des autres entre le designer, les ingénieurs, le voilier gréeur, le mécanicien, l'électricien, le plombier... Il fait en sorte que l'ensemble soit cohérent et respecte les contraintes de stabilité et les normes en vigueur. Les questions de performances sont d'un autre ressort. L'architecte naval n'existe plus beaucoup comme il était, c'est-à-dire comme je le suis encore.
C'est peut-être aussi pour cette raison que le client vient me voir. Mais finalement je n'en sais trop rien. Pense-t-il que je serais moins cher en faisant le travail de plusieurs personnes à moi tout seul ?

Alors est-ce une bonne méthode de partager le travail lors de la conception d'un navire ? Oui, manifestement lorsqu'il s'agit d'un grand navire complexe avec des corps de métiers très différents et très spécialisés.
Mais la question subsiste pour un petit navire dit "de plaisance" (jusqu'à 24 mètres).
Là, on sait rapidement comment aborder les problèmes. Par exemple un bateau de tel type et de telle taille déplacera environ tel poids avec un CG à tel endroit, ce qui permet de tracer immédiatement les lignes du plan des formes. L'échantillonnage est déjà dans l'idée de l'architecte naval qui n'a pas besoin de l'aide d'un BE de calculs de structure pour les vérifications et le dessin des détails. Il sait calculer sa structure, laquelle doit par ailleurs être obligatoirement validée par un bureau de certification, Veritas, Lloyd ou autres.
Le bateau est entièrement synthétisé dans la tête de l'architecte naval avec ses moindres détails avant de tirer le premier trait.
C'est peut-être ce que mes clients viennent chercher chez moi mais il ne faut pas me demander de signer des plans qui n'entrent pas dans ma manière de voir les choses.
J'insiste sur la notoriété qui est très importante pour l'architecte naval. Proposer un navire qui n'entre pas dans sa " signature " peut représenter un enterrement de première classe. Ce serait très dommageable après toutes ces années de travail pour se faire un nom.

Il reste encore une question sans vraiment de réponse : le constructeur amateur peut modifier à loisir la construction de son bateau sans respecter le plan de l'architecte, personne ne peut l'empêcher sinon le Bureau de Certification ou de Classification si les normes ne sont plus respectées ; je pense en particulier aux normes de stabilité. Mais alors que devient l'objet une fois mis-à-l'eau ? On dira que ce bateau est signé par l'architecte qui aura produit les plans de ce navire dans cet état ?
Bien entendu, et cela peut devenir une contre-publicité car "l'image" de l'architecte se trouve modifiée sans son consentement.
Le problème est réel et le préjudice ne saurait être réparé à jamais.

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